La Chronique du Professeur Faustroll

Illustrée par Frédéric Grivaud

Science-fiction, réalité et contemplation des astres Illustration Frédéric Grivaud

«Quand tous les calculs compliqués s’avèrent faux, quand les philosophes eux-mêmes n’ont plus rien à nous dire, il est excusable de se tourner vers le babillage fortuit des oiseaux ou vers le lointain contrepoids des astres.»

M.Yourcenar, Mémoires d’Hadrien .

- Qu’est-ce que la réalité?

Est-ce bien ce monde que nos sens semblent percevoir, plutôt ce simulacre de monde que le Créateur a façonné en des temps immémoriaux, cet univers de faux-semblants que l’être humain prend pour vrai, ce vaste malentendu cosmique, fruit des erreurs d’un Démiurge Fou? Est-ce cette Terre carcan, dont la pesanteur nous écrase, alourdit notre corps et notre esprit, nous maintient prisonniers, cette Terre sur laquelle nous rampons et végétons, atrophiés et infirmes, exposés aux luttes implacables entre la lumière aveuglante des jours et l’ombre glacée des nuits? Est-ce cette condition de détenus planétaires, d’exploités à l’échelle cosmique, de prolétaires du bourreau-démiurge, d’étrangers à notre propre terre, d’esclaves exilés dans un monde viscéralement soumis à la violence et l’injustice? Non, le vice fondamental de ce monde prouve à lui seul la fausseté de sa réalité, révèle que nos sens nous maintiennent dans l’illusion. La réalité est ailleurs. C’est du côté du monde des idées de Platon, qu’il faut la chercher. Mais il apparaît que le philosophe est limité par le mode d’expression qui est le sien, c’est à dire l’essai. Seule la fiction - bien qu’elle soit aussi cruellement dépendante du langage - peut permettre d’espérer, d’une part «saisir l’insaisissable», d’autre part d’explorer le jardin des potentiels, cet ensemble des possibles que l’on pourrait peut-être nommer réalité, ce puits infini d’idées conçues par le vrai Dieu.

Illustration Frédéric Grivaud

Donc en ce sens, la science-fiction - qu’il est préférable d’appeler fiction spéculative - ou le fantastique sont fondamentalement nécessaires pour élargir le champ d’investigation, y compris l’interrogation sur le langage lui-même. ( D’ailleurs, d’aucuns prétendent que la littérature de science-fiction est la forme la plus générale de littérature, qui englobe toutes les autres.) L’amateur de science-fiction, quant à lui, est simplement plus doué du «sens du possible», que de ce que l’on désigne - à tort - «sens du réel». Mais, lorsque l’on n’a pas le temps de lire, il est permis de contempler les astres, on peut ainsi rêver d’échapper à la prison terrestre, d’imaginer d’autres formes de vie et d’autres types de langage, d’inventer ses propres histoires de science-fiction


© Hors Service le 25/06/99