Affaire non classée

Bernard Carrasco

Illustrée par Frédéric Grivaud

Avez-vous déjà essayé la pilule de bonheur KaDick ?
La seule pilule qui rend votre patron sympathique,
votre feuille d'impôt hilarante
et votre femme amoureuse
Consultez la notice

- Salut vieux ! Comment vas-tu depuis la dernière fois ?

- Toujours à pieds, pour mes artères.

- Tu as donc plusieurs appartements dans des rues différentes ?

- Férentes. Non et toi ?

- Moi non plus. Et toi ?

- Demain, peut-être;

- On ne sait pas. Qui sait ?

- Kissékissé.

Jack en avait assez de cette conversation stérile qui n'aurait pas d'enfants avec son ami Eric, stérile aussi. Avant de continuer son chemin, à la peinture verte et marron car il aimait les clichés, surtout sans pellicule parce qu'il utilisait depuis dix jours une lotion spéciale pour les cheveux gras, il lui donna une vigoureuse claque dans le dos qu'il ne reprit pas et partit sans un mot, car à cette heure, la rue était déserte. Il arriva devant la porte automatique de son immeuble qui s'ouvrit automatiquement en le voyant arriver. mais Jack ne s'y laissa pas prendre et passa droit devant à vive allure, avant de percuter violemment un gros platane planté là. Il était sûr de ne pas l'avoir vu ce matin, car il était parti de mauvaise heure en tournant la tête de l'autre côté dans un geste de mépris. Il rebroussa alors chemin en pinçant son nez ensanglanté qui hurla d'une douleur pas contenue du tout parce qu'elle lui coulait sur les doigts en un filet poisseux. Il faut dire qu'il rentrait de la pêche à la ligne. Droite, car rien ne le fatiguait autant que les courbes, à cause de son dos, qu'il ne voyait jamais, s'étant froissé avec lui auparavant.

Il réussit à tromper la vigilance de la porte avec une grand-mère voûtée sans idée préconçue qui entrait juste à ce moment car il fallait bien. Il fouilla consciencieusement sa poche avant de lui passer les menottes et n'y trouva pas sa clé qu'il avait laissée dans la serrure cassée de la porte grande ouverte pour que les voisins, en se penchant pour regarder par le trou, se l'enfoncent profondément dans l'oeil, ce qui leur passait l'envie de recommencer qu'ils passaient ensuite à la locataire du dessous qui repassait tout au large de la journée.

Il entra et la porte se referma sur lui dans un grincement lancinant qui lui fit oublier qu'il devait aller chez le dentiste le lendemain.Pour se venger, car il était coincé, un pied dedans et l'autre aussi, mais la tête dans le corridor endormi, il donna un coup de poing dans le panneau. Celui-ci tomba et ne revint jamais, très vexé de s'être fait ainsi avoir comme un enfant qu'une automobiliste qui ne sait pas conduire, comme son nom l'indique, écrase sur le bord d'une autoroute réservée aux piétons depuis dix minutes.

Personne ne lui avait donné son dîner, il n'avait donc pu le prendre jusque là. Il se dirigea d'un pas ferme vers la cuisine qui recula dans un mouvement bien compréhensible de frayeur, se souvenant de la dernière fois. Cela obligea Jack à faire quelques pas supplémentaires. Il ne restait que deux oeufs dans le réfrigérateur, ce qui poussa Jack à réprimander la poule qui s'y trouvait aussi, pour sa faible production quotidienne. Cette dernière ne répondit pas, car, de toutes façons, elle avait perdu la tête, chez le boucher, hier dans la matinée. Jack s'empara des embryons, qui jamais ne deviendraient poussins et les posa sur la table d'où, contre toute attente, ils ne tombèrent pas. Il craqua une allumette qu'il jeta dans le frigo. Inutile de les faire sur le plat comme il n'en avait jamais eu l'intention, sachant fort bien qu'il n'en avait pas.

Il passa dans le salon, pour regarder la télévision qu'il éteignit presqu'aussitôt car elle le regardait aussi, avec son unique oeil qui ne se fermait jamais. Le chat, qui s'était éveillé, risqua un oeil dans la pièce et le regretta immédiatement, comme Jack en sortant marchait distraitement dessus, le faisant exploser en une multitude de gouttelettes scintillantes dans l'obscurité impénétrable et d'ailleurs impénétrée puisqu'elle avait fait voeu de chasteté dans sa prime jeunesse, ce qu'elle ne recommencerait pas, lorsqu'elle aurait à nouveau le même âge que tout le monde...

© Hors Service le 24/06/99