La Chronique du Professeur Faustroll

Asimov en péril

Alors que j'ai sous les yeux Fondation en péril de Gregory Benford, je ne peux m'empêcher de penser qu'on pousse vraiment le bouchon trop loin. Certes, si je vous en parle, c'est que je l'ai acheté et j'ai bien peur de le regretter. Sentiment renforcé par la lecture du liminaire de l'éditeur.
En vrac, il dit qu'Asimov est mort en 1993 (la date exacte est le 6 avril 1992). Espèce d'idiot congénital, quand on écrit un avant-propos sur un auteur aussi célèbre qu'Asimov, on se renseigne. Ensuite, il rajoute que c'est une histoire inachevée qui ne trouverait jamais une conclusion digne de son dessein, je cite. Personnellement, je pensais que la boucle était bouclée avec L'aube de Fondation, mais les arguments pécuniaires ont toujours raison. Il parle aussi des aperçus psychologiques pénétrants de l'auteur (!) Chez Asimov, que je sache, ce n'était pas la psychologie qui primait ; ses personnages avaient même tendance à être assez peu profonds. Et pour finir, l'éditeur nous assène que Benford, Bear et Brin étaient des amis personnels d'Asimov. Je sais bien qu'il faut justifier d'une quelconque parenté, mais dans sa copieuse autobiographie, Asimov n'évoque pas une seule fois le nom de ces amis personnels. Et pourtant, il en cite des noms !!!
Tout ça pour dire que j'aime beaucoup Asimov, que j'aime bien Benford (et à un degré moindre Bear et Brin), mais qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Une fois de plus, on déterre les morts pour leur faire vendre du papier. Car que croyez-vous qu'il advienne d'un tel ouvrage ? Il finit sur un étal agrémenté d'un énorme ISAAC ASIMOV et d'un petit Gregory Benford. Une fois de plus, on essaie de nous fourguer de la camelote quelconque pour du Asimov.
Remarquez bien que ce n'est pas la première fois et mon intuition féminine me dit que ce ne sera pas la dernière.
En France, on avait inauguré le tir avec les trilogies La cité des robots d'Isaac Asimov écrites par quelques tâcherons obscurs à l'orée de leur carrière. On en mettait deux par volume et on omettait d'inscrire leurs noms sur la tranche, laissant croire que le bon docteur avait encore pondu quelque roman inoubliable. Bien sûr, me direz-vous, cela se passait dans l'univers créé par Asimov. Laissez-moi rire !!! Un univers bourré d'extra-terrestres ! Ce n'est pas parce qu'on évoque les Trois Lois à tout bout de champ qu'on navigue dans l'univers Asimovien. Iniquité répétée dans de nouvelles trilogies tout aussi indignes du Maître (bien que fort joliment illustrées par Caza).
Ensuite, Pocket nous fit le coup du Isaac Asimov présente. Excellent, j'ai failli m'y laisser prendre. En fait, il s'agissait simplement d'anthologies composées avec les textes parus dans Isaac Asimov's Science-Fiction Magasine. Mais ne vous y trompez pas, Asimov n'y est pour rien. Comme il le dit clairement dans sa biographie, il s'agissait juste d'utiliser la popularité - immense - de son patronyme. Lui se contentait d'écrire un édito (qu'on ne retrouve pas dans les Isaac Asimov présente). La seule excuse de cette série étant que les textes étaient le plus souvent de qualité, même s'ils n'avaient rien à voir avec notre auteur.
Il y eut bien aussi la série - inoubliable - des Norby. Cette fois-ci, on prétendait qu'elle était écrite en collaboration avec sa femme Janet. La collaboration en question se déroulant fort bien. Janet écrivait le roman et Isaac apposait sa signature sur la cover. Tout ça pour vendre des histoires de SF pour les enfants. De préférence, très jeunes, les enfants, parce que la qualité n'était pas au rendez-vous.
Après avoir initié les débutants peu doués, on eut l'idée - saugrenue - de faire réécrire à Silverberg quelques nouvelles d'Asimov. Cela donna trois romans basés sur «Quand les ténèbres viendront», «L'Affreux petit garçon» et «L'homme bicentenaire». Une chose est sûre, on y découvrait en gros caractères le nom d'Isaac Asimov accompagnant celui de Silverberg, alors que de son propre aveu, il n'y avait pas écrit une ligne. Et cette fois-ci, on indiquait pas que c'était d'après l'oeuvre du maître, on parlait encore une fois de collaboration. Peu importe, me direz-vous, c'était quand même du Silverberg à défaut d'être du Asimov.
Peut-être, mais alors du Silverberg pas en forme du tout. Ou alors, il écrivait de la main gauche, parce que le résultat frise le médiocre, mais par le bas. A tel point que six romans étaient prévus et qu'il n'y en eut que la moitié.
N'oublions pas le scénario avorté de l'adaptation des Robots signé par Harlan Ellison qui occupa récemment le terrain, mais comme je ne l'ai pas lu, je lui laisse le bénéfice du doute.
Enfin, en 1989, Martin H. Greenberg (un vrai ami personnel , lui) eut l'idée de concocter une anthologie pour fêter les cinquante ans de carrière du Docteur Asimov. Une petite vingtaine de textes utilisant l'univers de l'auteur. Cela s'appelait Les fils de Fondation et on y lisait en lettres capitales énormes : Isaac Asimov. Encore une tentative d'usurper son nom bien entendu, mais celle-ci avait le bénéfice du talent. Bon nombre de ces nouvelles sont de qualité et rien que pour la dernière : L'originiste signé par Orson Scott Card, elle vaut le détour. De plus, on a même droit à un petit laïus d'Asimov, ce qui est mieux que dans bien d'autres projets avec son nom comme enseigne lumineuse.
Mais revenons à l'objet de ma colère : Fondation en péril et ses petits nécrophages. Comment des auteurs de renom comme Benford, Brin et Bear ont-ils pu se commettre dans une telle infamie ?
Le pire étant que je dénonce cette escroquerie et que j'ai tout de même dépensé 123,50 francs pour la lire. J'ai bien peur que ce ne soit que le premier volet d'une longue saga d'oeuvres faussement asimoviennes. Hardi, moussaillon ! Et surtout, méfie-toi des contrefaçons !


© Hors Service le 24/06/99